La biodiversité n'est pas stable dans le temps et l'espace. Elle évolue en réponse à différents facteurs. À l'échelle macroévolutive, les moteurs de diversité sont essentiellement
les changements tectoniques majeurs, climatiques globaux et environnementaux. Ils sont connus pour avoir façonné les patrons évolutifs de groupes d'espèces sur de grandes échelles spatiales et temporelles. À l'échelle microévolutive, les moteurs de diversité
sont majoritairement liés à des forces évolutives telles que la mutation, la dérive génétique, la sélection ou la dispersion. Ils rythment l'évolution de la biodiversité populationnelle à une plus petite échelle spatiale et temporelle. Dans le cadre de cette
thèse, le but a été de construire un cadre évolutif stable permettant de nous éclairer sur les processus évolutifs et/ou les facteurs qui ont rythmé l'histoire évolutive d'espèces et de populations de rongeurs.
Pour étudier l'évolution de la biodiversité à l'échelle macroévolutive, nous avons pris comme modèle biologique la superfamille des Dipodoidea (Rongeurs : Myodonta). Groupe frère des Muroidea, la superfamille des Dipodoidea comprend trois grands
groupes d'organismes : les sicistes (Sicistinae), les souris-sauteuses (Zapodinae) et les gerboises (Allactaginae, Cardiocraniinae, Dipodinae et Euchoreutinae). Dans la littérature, la superfamille des Dipodoidea comprend 51 espèces réparties dans 16 genres
de six sous-familles, toutes de la famille des Dipodidae mais cette classification basée essentiellement sur des données morphologiques est très controversée. Avant cette thèse, aucune phylogénie moléculaire des Dipodoidea n'avait été reconstruite. De plus,
les Dipodoidea sont particulièrement intéressants pour tester divers scénarios biogéographiques étant donné certaines distributions disjointes dans l'Holarctique et les nombreuses espèces réparties dans les déserts d'Asie et d'Afrique. Il est donc intéressant
de comprendre comment ces patrons de distribution disjoints sur l'Holarctique (e.g. Afrique du Nord, Amérique du Nord) ont été mis en place et 'quand et où' ces différents groupes sont apparus.
Lors de cette thèse, pour la première fois, une phylogénie moléculaire comprenant 20 des 51 espèces de Dipodoidea a été reconstruite à partir de quatre gènes nucléaires (BRCA1, GHR, IRBP, RAG1). Cette phylogénie moléculaire a ensuite été comparée à une phylogénie
morphologique reconstruite sur base des caractères de la dentition, de la bulle auditive, du gland du pénis et des glandes reproductives accessoires. Cela a permis de comprendre que les nombreuses controverses autour de la taxonomie et de la systématique des
Dipodoidea étaient dues à des homologies qui brouillaient le signal phylogénétique. Ainsi, une nouvelle taxonomie des Dipodoidea a pu être proposée. La superfamille des Dipodoidea est dorénavant constituée de 3 familles (Sminthidae, Zapodidae, Dipodidae) et
de 19 genres. Ensuite, pour étudier l'histoire évolutive biogéographique de la superfamille des Dipodoidea, l'échantillonnage taxonomique a été augmenté. La phylogénie moléculaire la plus complète à ce jour incluant 34 espèces de Dipodoidea a pu ainsi être
reconstruite sur base du gène mitochondrial du cytochrome b et des mêmes gènes nucléaires utilisés précédemment. Lors de cette seconde étude, nous avons pu montrer que la radiation des Dipodoidea modernes a eu lieu au Paléocène supérieur dans la région d'Asie
Centrale et de l'Himalaya-Plateau Tibétain et que, de façon générale, leur histoire évolutive a été rythmée par les grands bouleversements climatiques et environnementaux engendrés par la surrection de l'Himalaya et du Plateau Tibétain.
Pour étudier l'évolution de la biodiversité à l'échelle microévolutive, nous avons pris comme modèle biologique le campagnol roussâtre (Myodes glareolus). Les populations de campagnol roussâtre sont réparties en plusieurs lignées
mitochondriales distribuées sur une large zone de la région paléarctique. L'une d'elles, caractérisée par le génome mitochondrial du campagnol de la taïga (Myodes rutilus), se distribue de la moitié supérieure de la Suède à travers la Finlande jusqu'au
centre de la Russie. En Finlande, cette lignée introgressée (mitotype RUT) vient au contact d'une autre lignée du campagnol roussâtre (mitotype GLA). Il a été proposé que cette zone de contact en Finlande soit le résultat d'un contact secondaire. Cependant,
étant donné qu'aucune différenciation nucléaire n'a été observée entre les mitotypes GLA et RUT, il n'est pas clair si cette zone de contact résulte bien d'un contact secondaire (deux évènements de recolonisation de la Finlande). Une autre hypothèse suggérant
un seul événement de recolonisation de la Finlande pourrait également expliquer ce patron de discordance mito-nucléaire.
Lors de cette thèse, nous avons étudié la zone de contact entre les mitotypes
GLA et RUT située au centre de Finlande sur base de 17 marqueurs microsatellites et du cytochrome b. Notre but était d'estimer si la Finlande a connu un ou deux évènements de recolonisation postglaciaire et donc, de mieux comprendre si la zone de contact résulte
ou non d'un contact secondaire entre les deux mitotypes. Les approches classiques de génétique des populations et de clustering ne nous ont pas permis de valider l'une ou l'autre des hypothèses du fait que la dispersion était limitée dans l'espace et
que la différenciation génétique nucléaire entre les campagnols de Finlande était faible. Par conséquent, pour valider définitivement une des deux hypothèses, nous avons dû utiliser des analyses de clines de fréquences alléliques de marqueurs neutres. Celle-ci
a montré que le cytb et 16 des 17 microsatellites présentaient des changements de fréquences alléliques entre les mitotypes GLA et RUT et que, par conséquent, la zone de contact entre les mitotypes GLA et RUT correspondait bien à une zone de contact secondaire
résultant de deux évènements de recolonisation indépendants.
En conclusion, cette thèse m'a permis de mieux comprendre comment la biodiversité évolue en réponse à différents facteurs. Étudier
la biodiversité en utilisant des approches macroévolutives et microévolutives est très intéressant car cela permet d'avoir un regard large sur la manière avec laquelle les espèces, les populations et leurs génomes évoluent.